08 avril 2008
La conquête de Majorque par Jaume Ier le 31 décembre 1229
Une interview très intéressante de Robert Vinas sur un sujet qui nous tient à coeur, la conquête de Majorque.

Le pitch de Canal Académie :

Le Royaume de Majorque, conquis par Jacques Ier en 1229 est un exemple flagrant de l’intérêt historique d’une région. L’historien Robert Vinas revient sur cette page d’histoire. Souvent délaissée au profit de l’histoire nationale, l’étude des régions garde en effet tout son intérêt notamment en Histoire médiévale. Non seulement parce que l’idée de "Nation" renvoie à la modernité et à notre monde contemporain -la "Nation" telle qu’on la conçoit est donc un concept tardif, inexistant à l’époque médiévale ; mais aussi parce que l’histoire régionale n’en reste pas moins liée aux grands mouvements ayant touché les civilisations.

Emission proposée par : Christophe Dickès Adresse de cet article : http://www.canalacademie.com/La-conquete-de-Majorque-par-Jaume.html

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20 mars 2006
L'art des Majoliques et Majorque.
L'emploi de faïences recouvertes d'un émail polychrome est très ancien. On les retrouve, en effet, dans les ruines des anciens palais de la Perse. Les Arabes en firent bientôt usage pour orner les mosquées, au lieu de mosaïques. Ces dernières constituaient un procédé de décoration d'une exécution beaucoup plus longue et beaucoup plus difficile. Les plus anciennes mosquées, celle de Cordoue, de Kairouan, etc., contiennent des échantillons divers de faïences coloriées.
La majolique est donc une technique céramique née au Moyen Orient, imitant la porcelaine chinoise. Cet art associe les lignes et les couleurs sur fond opaque d’émail étamé blanc. Majolique dérive du mot Majorque, l’île des Baléares qui constituait jadis un important entrepôt de céramiques dans le bassin méditerranéen.
D’importantes pièces de faïence furent produites en Espagne au cours des 14e et 15e siècles et en Italie un siècle plus tard.
Je vous livre ici les diverses définitions rencontrées sur internet.
MAJOLIQUE : originaires de la péninsule hispano-mauresque (île de Majorque), introduites en Italie à la Renaissance, les faïences majoliques, à décors figuratifs sur fond blanc ou clair, se caractérisent par une glaçure stannifère sur laquelle sont appliqués, avant cuisson, des émaux colorés. La majolique italienne est à l’origine de toutes les faïences européennes.
Majolique :n. f. XVIe siècle. Emprunté de l'italien maiolica.Faïence italienne de la Renaissance, ornée d'un décor peint, dont la technique avait été empruntée aux potiers espagnols et arabes de Majorque (on écrit parfois Maïolique).
 
13 mars 2006
Majorque, un peu d'histoire et de géographie..
Majorque

Majorque jouit d’une situation privilégiée au cœur de la méditerranée occidentale. Son climat, sa culture et ses paysages en sont la preuve la plus tangible. Les communications sont pratiques et rapides.

Quelques données géographiques :

Superficie : 3 640 km2
Littoral : 554,7 Km
Point culminant : 1 432 m
Température moyenne annuelle : 18,7ºC
Ensoleillement annuel : 2 960 heures
Population : 702 122 habitants

Paysage :

Majorque offre une variété de paysages propre à charmer le regard des visiteurs. De la magnifique plage d’Es Trenc et des interminables étendues sablonneuses du Sud-est aux abrupts versants de la Sierra Tramuntana, les paysages de Majorque réservent bien des surprises pour le profane ayant succombé aux stéréotypes du « Sea, Sex and Sun ».
Bien sûr tout cela existe, mais il convient de compléter le portrait de Majorque, en y ajoutant les quelques touches qui lui donnent toute sa splendeur. Ainsi 40% du territoire est zone protégée naturelle. La chaîne montagneuse de la Sierra Tramuntana qui traverse l’île du Nord au Sud, jouit d’un statut de protection particulier. Majorque possède de nombreux parcs naturels, paradis pour les ornithologues.
Aucun séjour à Majorque ne saurait être complet sans une visite de la Sierra Tramuntana, refuge d’artistes et de philanthropes de toutes les latitudes, de Chopin et Georges Sand, à Robert Graves, en passant par l’Archiduc Luis Salvador d’Autriche. Du port d’Andratx au Cap Formentor, la cordillère majorquine et ses magnifiques chênaies offrent une étonnante succession de sites naturels extraordinaires. L’intérieur de l’île en marge du développement touristique, est une interminable suite de champs d’amandiers, d’oliviers, de caroubiers, de figuiers et … de moulins.



Un peu d’histoire :

Premiers habitants :

A la suite de découvertes archéologiques, les historiens admettent l’existence d’une population primitive qui aurait peuplée l’île en 7200 avant JC.

Sépultures mégalithiques :

La période comprise entre 3000 et 1300 avant JC, s’appelle ère prè-talayothique. En ce temps, Majorque est peuplée de petits clans tribaux, vivant d’agriculture et d’élevage. C’est l’époque des sépultures mégalithiques et des tumulus mortuaires formés de gigantesques blocs de pierre autour desquels, les clans célébraient leurs rites, et leurs cérémonies religieuses. Les constructions dîtes naviculaires, datent de cette période, il s’agit de constructions en forme de coque de bateau renversé, qui servaient d’habitat.

Guerriers et Talayots :

En 1300 avant JC, Majorque voit l’arrivée des premières vagues de tribus Talayotiques. Cette culture guerrière subsistera jusqu’à la conquête de Majorque par les romains. Casques, épées, pectoraux et monuments de pierre ( Talayots) sont les témoins de ce passé révolu.

La conquête romaine :

Lassés de l’activité des pirates qui infestent les Baléares et portent préjudice à sa puissance maritime. En l’an 123 avant JC, Rome envoie ses troupes conquérir Majorque. Celles-ci sont accueillies par les jets de pierre des habiles frondeurs majorquins (sport encore populaire). Au terme de douze années ces frondeurs seront incorporés dans les régions romaines pour les campagnes d’Afrique. C’est sous la domination romaine, qu’apparaissent les premières cités dont il reste de nobles vestiges à Pollensa.

Les invasions Vandales et Byzantines :


En l’an 425, Majorque subit l’invasion et le pillage des vandales. Leur établissement annonce le début d’une ère de décadence, pendant laquelle Pollensa sera saccagée. Cette domination prendra fin par la conquête de l’île en l’an 534 par le général byzantin Belisario.

Une influence arabe importante :

La domination byzantine sera de courte durée, car l’an 707 voit le premier débarquement des musulmans. Après 2 siècles de tiraillements incessants, Majorque est intégrée à la dynastie des Omeyyades. Le château érigé sur la commune d’Alaro, fût le dernier bastion de la résistance chrétienne. Il s’en suivit une étape de grande prospérité qui fit de Medina Mayurka, l’actuelle Palma, un lieu de rayonnement culturel. Les bains arabes de Palma en constitue l’un des rares vestiges.

700 ans de christianisme :

Date anniversaire de Majorque, le 12 septembre 1229, les armées de la couronne d’Aragon récupèrent Majorque pour la chrétienté sous le commandement du Roi Jaume 1. C’est au cours de ces premiers siècles de christianisme, que la cartographie maritime majorquine devint célèbre dans le monde entier. Abraham et Jafudà Cresques, auteur du fameux Atlas Catalan de 1375, l’original est conservé à la Bibliothèque Nationale de Paris, sont les cartographes les plus connus. Après l’unification des couronnes de Castille et d’Aragon, l’histoire de Majorque suit de près celle de l’Espagne. En 1715, le Roi Philippe V abolit les institutions insulaires et interdit l’usage du Catalan. Depuis 1977 et la fin du Franquisme, la langue et les symboles d’identité propres aux îles Baléares ont été récupérés. Les îles Baléares possèdent leur propre gouvernement, et conseils insulaires dotés de moyens de gestion et d’administration.




Jean-François BAIN
Mallorca Master SL
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Les cartographes Majorquins au confluent de 2 mondes
Dulcert, Ribes, Viladeste, de Vallsecha, tels étaient les noms de ces cartographes majorquins considérés comme les précurseurs de la cartographie moderne. Dans cette épopée pré-colombienne, on serait tenté de penser qu'ils furent de grands voyageurs, des découvreurs de terres nouvelles. Mais il n'en est rien. Dans l'ombre de leurs ateliers, juifs marqués d'une rouelle comme d'une infamie, propriété du roi d'Aragon, ils étaient ces voyageurs immobiles, ces rêveurs de terres lointaines. Ils allaient dessiner sur leurs vélins, l'Afrique, L'Asie, l'Orient, et dresser pour l'Occident les routes de l'or et des contrées lointaines. Traduire les textes grecs et arabes, écouter les marins, reprendre les relevés des côtes, noter les ports, les villes d'intérieur, telle fut leur part. L'histoire retiendra à peine leur véritable nom, Cresques, Corchos, Ibn Rich.
Les Portulans :
Vivement illustrées et tracées selon les lignes qui naissent de la rose des vents, les cartes marines du XIVème siècle semblent bien éloignées des nôtres. Se dégageant peu à peu des préjugés religieux, elles furent pourtant, par leur exigence de précision, à la naissance de la cartographie moderne.L'émergence de l'école de cartographie majorquine au XIVème et XVème siècles n'est pas sans soulever de nombreuses interrogations : pourquoi tant de cartes, à ce moment précis, à Majorque, en particulier ? Pourquoi des cartographes juifs ? Ces questions trouvent assurément leur réponse dans un faisceau d'éléments concomitants.
Le Mirage de l'Est :
A la fin du Moyen-Age, le monde est divisé non pas du Nord au Sud mais d'Est en Ouest. Après l'échec des Croisades, lors de la lente reconquête espagnole, une barrière religieuse oppose la chrétienté à l'Islam. Si les consciences chrétiennes supportent difficilement d'enrichir des puissances ennemies, comment se priver d'épices, de soie, de perles et pierreries en un temps où la puissance se manifeste dans l'éclat des parures ? Nourrie par les récits de Marco Polo comme par l'imaginaire collectif, la fascination pour l'Orient et l'Extrême-Orient n'a jamais été aussi grande et les cours d'Europe ne peuvent se passer d'un luxe d'apparat où prend racine le mirage de l'Est.
Le Triple Verrou de l'Islam :
L'Asie, inaccessible, excite toutes les convoitises. Alors que les pays de l'Europe du Nord sont empêtrés dans des conflits interminables ( guerre de cent ans ) les états méditerranéens qui vivent du commerce avec l'Orient brûlent d'en maîtriser les routes. Mais ils se heurtent aux Turcs, de Chypre à la Mer Noire, aux princes arabes qui dominent la route de Damas comme la Mer Rouge et empêchent tout accès à l'Océan Indien. A l'ouest, les Maures de Grenade ont la main mise sur l'Andalousie, le Maroc, l'Algérie, l'actuelle Tunisie : pirates impitoyables, ils tiennent le détroit de Gibraltar et interdisent tout commerce avec l'Afrique noire qui est le seul producteur d'or du monde connu.
Le Chemin de l'Ouest :
La maîtrise des navires arabes sur la Méditerranée renforce ce blocage commercial. Certes, il fait la fortune des états qui parviennent à tisser des échanges commerciaux avec les princes de l'Islam. La République de Gênes, par ses comptoirs en pays maure, détient le quasi-monopole du commerce de l'or. Venise, privilégiée par sa situation sur l'Adriatique, assure les échanges avec la Méditerranée orientale. Enfin l'Aragon, qui s'étend de Montpellier à Valence, assure la diffusion de multiples marchandises et permet des échanges constants entre les états du Nord ( Drap des Flandres, bois, fer, étain, blé, fourrures, ambre gris ) et ceux du sud : Le lac aragonais bénéficie d'une position centrale en Méditerranée occidentale : possédant la Sicile, la Sardaigne et les Baléares, il permet les escales indispensables aux lourdes nefs de commerce, à Majorque, en particulier, qui est un port d'eaux profondes. Mais ces échanges restent soumis au bon vouloir d'intermédiaires qui vendent leurs services à prix d'or. Soutenue par l'envie de profits immenses, immédiats, l'idée se répand peu à peu de contourner l'obstacle. Et ce qui semblait impossible devient envisageable, passer par l'Ouest.
Une Nouvelle Idée de la Terre :
Si l'on accepte, au cours du Moyen-Age, l'idée que la Terre est une sphère, on ignore tout de la gravité universelle et l'on situe les Terres Emergées au dessus du globe en une large bande dont le centre est Jérusalem. L'on se réfère de façon quasi-permanente aux calculs cités par Aristote : une circonférence de quelque 30 000 km ne permet pas de s'éloigner des côtes sans courir le risque de tomber dans l'abîme. Cependant, poussés en cela par la philosophie d'Aristote, reprise par Averroès et Maimonide, les esprits savants, au travers de cultures et de religions différentes, accréditent l'idée qu'il est permis d'adorer Dieu en exerçant l'intelligence qu'Il a placée en sa créature : comprendre ce monde tel qu'il est et non tel qu'il est décrit par la Bible devient un enjeu scientifique majeur.L'Aragon des faiseurs de cartes se trouve au confluent de ce choc culturel. Chassés par l'intolérance religieuse des princes de Grenade au XIème et XIIème siècles, de nombreux juifs se sont installés en Castille et en Aragon. Ils maîtrisent l'Arabe comme une seconde langue, traduisent les écrits modernes des géographes arabes et cherchent à s'informer aux sources de la géométrie grecque. Ceux que l'on a appelés « les traducteurs de Tolède » développent la médecine, l'astronomie et la géométrie. Ils retrouvent les calculs d'Eratosthène qui indiquent que la circonférence terrestre dépasse largement les calculs retenus par Aristote. Peut-on s'écarter des côtes, trouver des îles dans l'Océan sans courir le risque de tomber dans l'abîme ? Pourra-t-on, un jour, traverser la Mer Océane et gagner l'Est par l'Ouest?Cette vision d'une sphère terrestre assez large pour que des bateaux puissent en faire le tour défie la croyance établie par l'Eglise. Au XIVème siècle, la question restera dans l'ombre car les cartographes juifs de Majorque ne peuvent s'opposer directement aux docteurs de l'Eglise.
Les Porteurs de Rouelle :
Marqués d'une rouelle et propriété directe du roi, les juifs d'Aragon n'ont pas les droits des chrétiens mais du moins peuvent-ils vivre et prier en paix. Ils servent du mieux la couronne d'Aragon et l'administration qui les protège quand, à la fin du XIVème siècle, sur fond de peste et de famine, ils sont livrés à la haine populaire. Durant l'été de 1391, de violents massacres déciment toutes les communautés. Ceux qui survivent se voient soudain contraints à la conversion ou à l'exil. Rester juif en Aragon équivaut à un renoncement : aucun métier intellectuel ou administratif ne peut plus être exercé par un juif. Afin de ne pas sombrer dans une condition médiocre, beaucoup se convertissent mais ces conversions sont liées à la peur. La plupart attendent des jours meilleurs. Au fond de leur coeur, ils demeurent fidèles au judaïsme et à ses traditions. Surnommés les porcs, les marranes vivent dans une suspicion permanente qui provoque un crypto-judaïsme de plus en plus exalté. Un siècle plus tard, la haine conduira à l'expulsion de tous les juifs d'Espagne, qu'ils soient convertis ou non.Un Long CheminPlus de cent ans nous séparent des bûchers de l'Inquisition comme des Grandes Découvertes mais le chemin de l'Ouest commence en ces temps difficiles. L'idée prend corps de construire des bâtiments qui puissent affronter l'océan.On va s'attacher à les rendre plus rapides : il faudra plus de voiles et plus de marins, mais le voyage sera plus bref si l'on sait profiter du vent. Les cales ne seront plus emplies par les vivres nécessaires à l'équipage, il restera une place immense pour les cargaisons. Les lourds vaisseaux s'affinent peu à peu, les mâts s'élèvent, la voile latine se double de voiles carrées, le choix du gouvernail d'étambot se généralise. Peu à peu, la nef médiévale se transforme en caravelle.
Le Début de l'Essor :
Le rêve s'organise et les bateaux se jettent à la conquête de l'océan. Les Canaries, retrouvées au milieu du XIVème siècle par les marins d'Aragon verront s'affronter la Castille et le Portugal. Evincé de ce premier pas sur l'océan, le Portugal va chercher à s'implanter en Afrique du Nord : la fameuse prise de Ceuta va lui donner les moyens de pousser plus avant et de se donner une stature de nation évangélisatrice. Un prince visionnaire va chercher à découvrir l'Afrique noire, à gagner le fleuve de l'or, situé sur les cartes majorquines, au sud du cap Bojador. Henri le Navigateur va construire des bateaux, réunir, à Sagres, les architectes et les charpentiers de mer, les capitaines et les cartographes. Ainsi ce vieux savant, Messer Jacomo de Malhorca, qui n'est autre que Yaffuda Cresques. Et l'on trouvera, en 1420, l'île de Madère.
 
La conquête de Majorque !

Jacques 1er le conquérant Une première conquête des îles Baléares, occupées par les musulmans depuis le début du X° siècle, avait déjà été effectuée en 1114-115 par une expédition catalano-pisane ; mais après avoir pillé Ibiza puis la cité de Majorque (Médina Mayurqa, actuelle ville de Palma), les chrétiens s'en étaient retournés chez eux, et la flotte almoravide avait pris possession des îles. Cependant une guerre de course incessante avait progressivement convaincu les princes de la maison de Barcelone de mettre un terme à ce climat d'insécurité en Méditerranée occidentale, Majorque étant un point central en Méditerranée, avec un port dynamique faisant de l'ombre à ceux de Barcelone, Pise et Gênes. Majorque devait être le carrefour du commerce de l'or venant des mine d'Afrique de l'Ouest, et qui couvrait à 80% les besoins occidentaux de l'époque. La monnaie arabe était puissante, avec le dinar, puis le doublon, elle faisait office d'étalon dans les transactions commerciales. Monnaie qui fût imitée par les rois chrétiens de la péninsule. Jacques 1er portant la croix des templiersUn incident de plus met un jour le feu aux poudres, lorsque le walî de Majorque s'empare d'une nef de Barcelone, et répond insolemment aux envoyés du jeune roi Jacques 1er (Jaume I). Cette fois c'en est trop : les Catalans décident de monter une expédition, malgré les réticences des Aragonais, qui préfèreraient qu'on s'occupe d'abord de Valence. Jaume Ier tranche : ce sera d'abord Majorque.
Jacques 1er à la t^te da sa flotteC’est donc en 1228, avec l'accord du pape, grâce aux bateaux mis à sa disposition par les marins barcelonais, et fort de l'aide des Rics Homens (nobles) catalans que Jacque 1er d’Aragon tentera de s'emparer de Majorque. Sa décision de reconquérir l’archipel aurait été prise à l’instigation des riches commerçants du royaume, au cours d’un festin offert par un armateur de Tarragone, Pedro Martel. Mais loin de ces motivations terre à terre, le jeune roi se sent investi d’une mission divine pour défendre la croix contre l’infidèle et de tous les recoins de son royaume, les guerriers se joignent à sa sainte croisade. Il en vient même de Pau, d’où étaient originaires deux de ses principaux lieutenants, Raymond et Guillaume de Montcade. Du Roussillon arrivèrent 25 vaisseaux divers, 18 terrides de transport et un navire à trois ponts pour le transport des chevaux.

Le débarquement à Santa PonsaLa flotte partie de Collioure, était dirigée par le Perpignanais Nuno Sanç. Ce furent 155 vaisseaux, 15 000 hommes et 1500 cavaliers qui prirent la mer le 1er septembre 1229.
Une tempête ayant malmené les vaisseaux, la flotte modifie sa route et cherche un point de débarquement proche de la cité de Majorque : ce sera Santa Ponsa, non sans avoir obtenu des renseignements de Maures dissidents sur l'îlot de Pantaleu (San Telmo).
Le Roi et le Comte de Barcelone ne disposaient sous leur commandement direct, que les chevaliers et nobles aragonais. Les "Rics homes" (Magnats catalans) et les mercenaires Almogavares étaient sous celui de nobles catalans. Ce qui donna lieu, à de nombreuses scènes de pillage, et de massacres, indépendamment du souhait royal. Le siège de Médina MayurkkaLe 10 septembre au débarquement à Majorque dans la baie de Santa Ponsa, entre Andratx et Palma, gagné par l'impatience de la bataille, Jacques 1er ne prend pas le temps de revêtir toute son armure. Mais des milliers de MaureTroupes chrétiennes et musulmaness les attendent, et le 12 septembre dés le premier contact, 500 jonchent le sol.
Le lendemain Nuno Sanç avec seulement 300 cavaliers, massacre 500 soldats et 100 cavaliers ennemis. C'est également lui qui fait office de diplomate auprès du chef maure à qui il demande de quitter l'île.
Voyant que la guerre ne peut être évitée, c'est aux cris trente fois répétés de "Santa Maria !" et après trois mois de siège que la troupe catalane s'empare de la ville de Palma où s’étaient réfugiés les Musulmans le 31 décembre 1229.
En quelques jours les villes de Bunyola, Artà et Manacor sont libérées. Ce n'est que 3 ans après que toute l'île est occupée. Des points de résistances s'étant organisés à Alaro, Pollensa et Santuyri. Il ne restera plus dés lors de population musulmane sur l'Île.
En 1232 est créé l’évêché de Majorque.
Le campement des chrétiensEn 1235, l'île d'Ibiza est prise à son tour.
Bien qu’annexée par Jacques 1er dés 1231 Minorque sous protectorat de la couronne d’Aragon reste occupée par les Maures jusqu’en 1287.
Les musulmans battus, les îles Baléares sont incorporées au royaume catalano-aragonais. Vainqueur, Jacques 1er veut donner à l’archipel sa dynamique économique.
Afin de les encourager à s’installer à Majorque, il offre des terres à tous ses lieutenants. Une proposition d’autant plus intéressante que ces terres sont en toute franchise de vassalité et de droits seigneuriaux. La répartition des terres et des maisons est bien connue grâce aux livres de repartimientos qui ont été conservés. Le partage s’accompagne d’un programme de colonisation. Le pape Grégoire IX promet aux colons l’octroi d’indulgences, un privilège d’ordinaire résérvé à ceux qui effectuaient un voyage en Terre sainte.
Toujours soucieux de repeupler l’île, Jacques 1er et les principaux propriétaires terriens intègrent les Maures restés à Majorque après la défaite, encouragent leur implantation.
De nombreuses familles roussillonnaises viennent s'installer pour coloniser ces terres nouvelles.
Voici quelques noms de ces colons:
Castell, Coll, Roca, Canals, Pujols, Boher, Soler, Barrera, Massot, Pons, Prats, Alsina...
Jacques 1er divise l’île, comme la capitale, en huit parties. Il s’en réserve quatre, comprenant 5674 caballerias (lots de cavaliers) et distribue les quatre autres, qui comptent 7762 caballerias, à l’évêque de Barcelone et aux trois magnats qui l’ont aidé dans la conquête.
Ces caballerias sont ensuite réparties en lots, compris majoritairement entre 20 et 100 ha, entre les colons. Cette répartition autoritaire des terres et des maisons entre les conquérants et les colons, selon une méthode qui s’inspire directement des règles inégalitaires du partage du butin entre combattants à cheval (caballeros) et fantassins (peones) consolide les différences entre ces deux catégories sociales, elle crée une petite et moyenne propriété.
Chaque lot distribué comprend une maison et un domaine composé de plusieurs lopins de terres de labour auxquels s’ajoutent souvent un jardin (huerta) ou un verger et des parcelles plantées de vigne, de figuiers ou d’oliviers.
La géographie et la morphologie des habitats existants ont été surtout affectées par le départ des musulmans, car les opérations militaires se sont avérées relativement peu destructrices. Les chrétiens se regroupent dans de "gros villages de plaine" qui parfois, se développent à partir d’une ancienne alqueria, mais correspondant toujours à un réaménagement de l’ancien territoire castral, les vainqueurs utilisant telles qu’ils les trouvaient les exploitations d’un pays où la propriété était fort morcelée.
Cette conquête rapide sera suivie de la construction d'une véritable flotte de guerre car les navires musulmans, notamment ceux du roi de Tunis, représentaient une menace permanente.
En 1249 la ville de Majorque avait obtenu du roi la reconnaissance de ses magistrats ; la même année fut créé le "Gran e General Consell" qui soumit les zones rurales des îles Baléares aux habitants des villes, villes qui participaient aux Corts de Catalogne (assemblées représentatives de la couronne d’Aragon réunissant les trois ordres).
Jacques II de MajorqueEn 1262 par son testament Jacques 1er d'Aragon lègue à son second fils Jacques II de Majorque les Baléares, le Roussillon, la Cerdagne et le comté de Montpellier formant ainsi en 1276 le royaume de Majorque jusqu'à ce que les Baléares soient réunies à la couronne d'Aragon en 1347.
Cette courte période d’équilibre politique coïncide avec l’essor économique de l’archipel et une grande effervescence intellectuelle et artistique.
Cette prospérité ne va pas sans susciter les convoitises. Jacques II souverain de Majorque a fort à faire avec son frère Pierre III d’Aragon qui lorgne sur ces richesses. L’opposition atteint son paroxysme lorsque Alphonse III d’Aragon (successeur de Pierre III) occupe l’île de Majorque de 1285 à 1298.
Bien que les insulaires aient ensuite reconquis leur autonomie, l’archipel réintégrera le royaume d’Aragon à l’issue de la bataille de Llucmajor à Majorque en 1349. Jacques III prétant serment
Pierre IV d’Aragon écrase les troupes du roi de Majorque Jacques III qui trouve la mort dans ce combat. Il ne s’ensuit cependant aucun changement sensible du point de vue politique et les privilèges accordés par Jacques 1er et ses successeurs sont maintenus. La prospérité du commerce, concentré surtout dans les ports donne naissance à une aristocratie maritime qui vient se joindre à celle des propriétaires fonciers existant déjà.

Rois indépendants de Majorque de la Maison de Barcelone :
1276 - 1311 : Jacques II dit le Juste, Comte de Roussillon et de Cerdagne et Seigneur de Montpellier
1311 - 1324 : Sanche Ier dit le Pacifique, Comte de Roussillon et de Cerdagne et Seigneur de Montpellier, initiateur du chantier de la Cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Perpignan
1324 - 1349 : Jacques III dit le Téméraire, dernier roi indépendant de Majorque, Comte de Roussillon et de Cerdagne et Seigneur de Montpellier, neveu du Roi Sanche et fils de l'Infant Ferdinand de Majorque, Prince de Morée an Grèce
 
Ramon Lull (Raymond Lulle) une personnalité Majorquine


Raymond Lulle naquit à Palma dans l'île Majorque en 1235. Son père, sénéchal de Jacques Ier d'Aragon, le destinait à la carrière des armes. La jeunesse de R. Lulle fut turbulente et licencieuse, le mariage ne modifia pas sa conduite, mais à la suite d'un violent amour terminé d'une façon malheureuse, il renonça au monde et après avoir partagé ses biens entre ses enfants, il se retira dans la solitude. C'est alors qu'il forme le projet de convertir les infidèles. Ce sera là la grande idée à laquelle il consacrera toute sa vie. Pour apprendre l'arabe, il achète un esclave musulman mais celui-ci ayant deviné le but de son maître, tente de l'assassiner. A peine rétabli, Lulle fonde un monastère où l'on enseigne l'arabe et où l'on forme des missionnaires. Puis il parcourt l'Europe s'adressant aux papes, aux rois, aux empereurs, demandant aux uns leur autorité morale, aux autres du secours en argent pour faire fructifier son oeuvre. C'est dans ces pérégrinations qu'il se mit en relations à Paris avec Arnauld de Villeneuve et Duns Scot. Il visite l'Espagne, l'Italie, la France, l'Autriche. Joignant l'exemple à la parole, il passe deux fois en Afrique, est condamné à mort à Tunis, et n'échappe que grâce à la protection d'un savant arabe qui l'avait pris en affection. En 1311, nous le trouvons au concile de Vienne. C'est là qu'il reçut une lettre d'Edouard II. Ce prince, se montrant favorable à ses projets, R. Lulle va en Angleterre. Le roi le fait enfermer dans la tour de Londres et le force à faire le grand-oeuvre. R. Lulle change en or des masses considérables de mercure et d'étain, cinquante mille livres, dit Lenglet Dufresnoy. De cet or on fit les nobles à le rose. Craignant pour sa vie, R. Lulle s'échappe de Londres et retourne en Afrique. A peine débarqué, il se met à prêcher, la populace indignée de son audace le lapide. La nuit suivante des Gênois l'enlevèrent respirant encore de dessous un monceau de pierres et le portèrent à bord de leur vaisseau, mais il mourut en vue de Palma ; il fut enterré dans le couvent des franciscains de cette ville (1313).
 
06 mars 2006
Jacques 1er d'Aragon, le premier roi catholique de Majorque
Le Début du règne

Fils de Pierre II d'Aragon et de Marie de Montpellier fille de Guilhem VII, héritière de la seigneurie de Montpellier, Jacques 1er dit "Le Conquérant" est né le 2 février 1208 à Montpellier. Les Montpelliérains regrettèrent peu Pierre II, qui avait été achever sa vie dans le camp des hérétiques ; mais ils entourèrent de leur amour le roi Jacques, le fils de leur chère Marie, qu'ils avaient eux-mêmes baptisé. Ce baptême avait été singulier : douze cierges pareils, portant les noms des douze apôtres, furent allumés en même temps, celui qui s'éteignit le dernier portait le nom de l'apôtre Jacques.

A l'âge de 5 ans son père décède à la bataille de Muret (1213), bataille opposant le comte de Toulouse, cathare, et l'armée du pape, dirigé par Simon de Montfort. Le jeune Jacques devient prisonnier du pape Innocent III qui négocie sa libération en 1214. Il est placé par les nobles catalans chez les templiers qui assurent son éducation tandis que son royaume est mis en régence auprès de Sanche de Provence, son grand oncle. A 17 ans il prend en main le royaume lui-même.
Son début de règne est difficile : Il doit tout d'abord faire face à la révolte des nobles catalans et aragonais (1225), qui exige de lui des concessions qu'ils obtiennent en partie à la signature d'un traité de concorde entre le roi, les nobles et les villes aragonaises.
Peu après il accorde à Barcelone "l'Acta de Navegacio" qui interdit à tout bateau étranger le droit de charger des marchandises si un bateau catalan est disponible.
Les Conquêtes

A vingt ans il se lance dans un pari risqué. Puisque l'extension de son royaume est impossible vers le Nord, il va l'étendre vers le Sud, sur les terres maures. Pour effectuer ses conquêtes il doit préalablement s'assurer du contrôle des mers, et pour ça supprimer les pirates maures, qui sévissaient à l'époque. Leurs ports d'attache étant à Majorque, il demande aux Corts l'autorisation de former une armée et partir à la conquête des Balèares (1228). Ainsi fut fait, l'île de Majorque tombe (1229), puis Ibiza (1235).

Il se lance en parallèle dans des conquêtes terrestres. Ses troupes, supérieures en nombre, vinrent rapidement à bout d'un vaste territoire, prenant les villes de Morella (1232), Péniscola (1233), Borriana (1233), Puig Ste Maria (1237), Valence (1238), Xativa (1244), Biar (1245) et Murcia (1266). La fondation des royaumes de Valence et de Majorque marque le début de l'expansion catalane sur les mers.
Les actions de Jacques 1er

C'est sous le roi Jacques que le roi de France, maître du reste du Languedoc, s'immisça dans les affaires de la seigneurie de Montpellier. L'évêque de Maguelonne fut amené par l'habile Gui Folencis, agent de la reine Blanche de Castille, à reconnaître que la ville de Montpellier et ses dépendances avaient toujours appartenu au roi de France, et, en 1255, il prêta serment de fidélité comme feudataire de la couronne ; de sorte que le roi d'Aragon, vassal de l'évêque de Maguelonne pour Montpellier, se trouva lui-même indirectement soumis à la suzeraineté du roi de France.
Jacques 1er ne s'est pas contenté d'agrandir considérablement son royaume, il l'a également structuré. En Roussillon il a fait agrandir les ports de Collioure et de Port Vendres, puis il a amélioré la charte de la ville de Perpignan que son père avait signé : en plus du battle (Maire) et de 5 consuls, 12 conseillers vont être élu pour les seconder. Pour les réunir Jacques 1er fait construire l'hôtel de ville en 1270.
Parallèlement, pour éviter les exactions à l'encontre des juifs, il créé un quartier, à Perpignan, qui leur est dédié : Le Call. Ce quartier, situé à proximité du couvent des Minimes, était physiquement séparé du reste de la ville par de grands murs, un seul portail leur donnant accès. Initialement havre de paix, ce lieu est malheureusement assez rapidement devenu un ghetto.
Il fait également fortifier la frontière Nord, c'est de cette époque que date la Salveterra (château d'Opoul), les remparts de Vinça (1245), ceux d'Ille sur Têt (1244), etc. La frontière devient officielle à la signature du traité de Corbeil (1258), elle s'arrête aux villages d'Opoul, Vingrau, Estagel, Montner, Néfiach, Ille sur Têt, Rodès, Tarérach, Molitg les bains, Mosset, et Puyvalador.
L'activité diplomatique de Jacques 1er est intense. Il envoi des ambassadeurs tout autour de la Méditerranée, en Arménie (1265), en Perse (1268) à Constantinople (1269). Il va même jusqu'à faire créer un poste de consul des catalans à Alexandrie (1264).
Jacques le Conquérant renforce le pouvoir royal en menant avec fermeté la normalisation du droit dans chacun des territoires de la couronne d'Aragon. Il charge ainsi l'évêque d'Osca, Vidal de Canyelles, de codifier le droit coutumier du royaume d'Aragon, entreprise qui aboutit lors des cortes d'Osca de 1247, qui imposent un droit unique au royaume au-dessus des droits particuliers. En Catalogne, ce sont les Usages de Barcelone qui s'imposent peu à peu à tout le pays. Enfin dans le royaume de Valence, le roi accorde une ordonnance de gouvernement en 1251, révisée en 1271, les Foris et consuetudines Valentiae . D'autre part, il développe le système des corts ou cortes, des sortes de parlements généraux, réunissant des délégués nobles, ecclésisastiques et citadins autour du roi. Chacun des royaumes de la couronne a ses propres corts, exepté le royaume de Majorque, qui envoie des délégués aux corts de Catalogne.
Sur le plan de la politique extérieure, il signe avec le futur Saint Louis le traité de Corbeil en 1258, qui fixe la frontière entre le royaume de France et la couronne d'Aragon aux Corbières. Saint Louis renonce à tous droits de suzeraineté sur les comtés de Barcelone, de Roussillon et de Cerdagne. Jacques Ier renonce à tous droits sur les comtés du Languedoc, à l'exception de la seigneurie de Montpellier qui lui vient de sa mère.
Fin du règne

En 1275 eut lieu une révolte maure dans le Sud. Alors que son fils, l'infant Pierre, la réprimait, Jacques 1er meurt à Valence le 27 juin 1276. Il est enterré à Poblet, près de Tarragone.
Ses conquêtes seront poursuivies par ses successeurs et les catalans continueront à se déployer tout autour de la Méditerranée dans les siècles à venir. Son règne aura marqué le départ de l'âge d'or catalan.
 
20 février 2006
La baléarisation aux oubliettes ! :

L'ile de Majorque sort, au début du XXIe siècle, de la spécialisation dans le tourisme de masse. Dans ce territoire exigu, ce modèle, péjoratif pour son image, a engendré développement économique et effets pervers environnementaux, sociaux et spatiaux. Les acteurs locaux, conscients de la saturation de la capacité d'accueil et de l'épuisement du cycle touristique commencé en milieu du XXe siècle, ont mis en oeuvre, avant qu'elle ne s'impose sur la scène globale, la logique du développement durable. La démassification de la fréquentation passe par la requalification et la diversification de l'offre, en termes d'hébergement et d'activités, en accord avec les nouvelles pratiques de la clientèle nord-européenne. L'ensemble du territoire, riche en ressources peu exploitées, doit en bénéficier pour rééquilibrer littoral et intérieur, agglomération de Palma et reste de l'île. Majorque utilise sa bonne intégration, par la voie aérienne, dans l'archipel métropolitain européen pour tenter de réussir la symbiose du tourisme et de la haute technologie afin d'accéder à l'image, valorisante, de Sunbelt.
Aprés ce constat, si ce thème vous intéresse, je vous conseille la lecture des articles suivants.
 
15 février 2006
Les"Chuetas" de Majorque ou les Juifs Malgré eux, par Jean-Marc Thorbois
Majorque ! Pour beaucoup ce nom évoque l'exotisme à la porte, les vacances et le tourisme de masse. Les agences de voyage en vantent le charme et la beauté. Pour les amateurs d'histoire, il évoque le séjour de quelques personnalités historiques célèbres tels le musicien Frédéric Chopin et la romancière qui signait " George Sand ". Pourtant, parmi les centaines de milliers de touristes qui s'y pressent chaque année, bien peu savent que l'île de Majorque est le théâtre d'une anomalie historique unique au monde: la persistance jusqu'à nos jours d'une communauté de descendants de juifs convertis de force au catholicisme en 1435: les Chuetas. Ce sont des " juifs malgré eux ".
A l'inverse des Marranes du Portugal, qu'évoquait un de nos récents numéros, ils n'ont gardé aucune tradition abâtardie du judaïsme de leurs pères si ce n'est qu'ils pratiquaient jusqu'à il y a peu d'étranges coutumes qu'eux-mêmes étaient incapables d'expliquer et qui se transmettaient de génération en génération sans explication aucune. On peut donc parler à leur endroit de " crypto-juifs " (juifs cachés). Juifs, les Chuetas ont cessé de l'être depuis 1691, date des derniers autodafés (actes de foi: cérémonies religieuses solennelles au terme desquelles les condamnés étaient " relaxés au bras séculier " pour être brûlés vifs). Aujourd'hui les descendants des " Chuetas " sont de bons catholiques, ou, pour la majorité des jeunes, indifférents à toute forme de religion, et pourtant on continue dans l'île à les appeler " les Juifs ", " nous avons même eu un maire juif " disait un chauffeur de taxi ! L'existence des " Chuetas " jusqu'à nos jours semble justifier la thèse célèbre de J.P. Sartre selon laquelle, est juif celui que les autres considèrent comme tel. Cette thèse, un peu courte, convient en tout cas aux Chuetas: il ne sont restés juifs que parce que les autres l'ont voulu ainsi.

Condamnés à l'ignominie pour l'éternité, eux et leurs descendants Le mot " Chuetas " est une injure. En vieux Majorcan cela signifie " porc ". C'est le nom donné aux descendants des 15 condamnés du dernier autodafé de 1691. Pour le malheur de leurs descendants, le hasard voulut que le Sambenito, vêtement d'infamie que tout condamné portait lors de la cérémonie de l'autodafé, que ces quinze malheureux avaient porté lors de cette procession, fut accroché avec leur nom dans le cloître d'une des églises de la ville: Santo Domingo. Quinze patronymes furent ainsi désignés à la vindicte publique qui atteignit tous ceux qui avaient le malheur de porter ces noms maudits jusqu'à il y a un peut plus de vingt ans ! Il s'agit des familles: Aguilo, Arbona, Bonin, Cortès, Forteza, Fuster, Marti, Miro, Pino, Pomaro, Segura, Tarengi, Valenti, Vallemora et Walls. Bien que les Sambenitos aient été détruits en 1813, jusque vers 1970, tous les Majorcans qui portaient un des ces quinze noms étaient appelés " Chuetas " et subissaient un dure discrimination. Un jésuite avait aussi contribué à cette transmission de la haine de génération en génération, il s'agissait du père Garau, un des inquisiteurs des autodafés de 1691, qui avait donné une relation tendancieuse de ce qu'il appelait " la grande conspiration " dans un livre qui porte le titre provocateur de la " fe triumfante " (la foi triomphante). Ce livre fut pendant plusieurs générations le best-seller de Majorque et connut plusieurs rééditions qui contribuèrent à perpétuer de génération en génération l'anti-chuetisme. Il existe donc à Majorque un antisémitisme très particulier qui ne s'exerce pas contre les Juifs venus de l'extérieur et authentiquement juifs - comme les Juifs ashkénazes qui s'établirent dans l'île ces dernières décennies - mais uniquement à l'encontre des descendants de quinze familles de crypto-juifs qui au 17ème siècle tentèrent vainement de revenir au judaïsme, descendants qui aujourd'hui ne sont plus juifs en rien et qui ne veulent pas l'être ! A l'heure actuelle, il y aurait à Majorque environ 300 familles de " Chuetas " et il fallut attendre l'expansion touristique des années 60-70 pour que prenne fin l'anti-chuestisme. Ce sentiment avait été un moyen de contrôle social lié à la fameuse " pureté de sang " dont se targuaient les nobles espagnols. Cet ostracisme qui durant des siècles frappa les " Chuetas " considérés dans l'île comme de véritables parias, relégués dans une sorte de ghetto, " la Call " de Palma, condamnés à l'endogamie (mariage entre cousins) et soumis à mille vexations, a permis à cette étonnante communauté de subsister jusqu'à nos jours.